Appel à communication

 

ARGUMENTAIRE

Pourquoi, à la lecture des récits de voyage illustrés dans les Alpes, dans le « Grand Nord » (Arctique, Nord de l'Amérique, Scandinavie) ou encore en Sibérie, a-t-on le sentiment d’une parenté aussi diffuse et mystérieuse qu’évidente ? Dans ce genre d’ouvrage bien particulier, propice à la diffusion des représentations de réalités « exotiques », les textes et les images nous donnent le sentiment d’un univers à la fois proche et lointain, familier et déroutant : celui des pays froids.

La notion de « pays froid » (régions voisines des pôles, haute montagne, pays à hiver long et rigoureux, etc.) a émergé à partir des recherches menées, dans les années 1960, par le géographe et linguiste québécois Louis-Edmond Hamelin : elles l’ont conduit à proposer les concepts de « nordicité », d’« hivernité » et de « montagnité » pour souligner la continuité de représentation entre les paysages à première vue géographiquement hétérogènes que sont ceux du Nord (et du Sud antarctique), de la haute montagne, ainsi que les paysages hivernaux. Une telle continuité avait d’ailleurs été pressentie bien longtemps auparavant par nombre d’artistes et de voyageurs. Dès la Renaissance, Brueghel, dans ses paysages d’hiver, en avait conscience, de même que Windham et Bourrit en voyage à Chamonix au siècle des Lumières. En 1861, Xavier Marmier compare encore la mer de Glace au Spitzberg ou à la Nouvelle-Zemble. Jean-Jacques Ampère constate pour sa part, lors de sa traversée de la Norvège et de la Suède au cours de l’été 1827, qu’« [e]n s’élevant, on trouve toujours l’analogue des régions situées plus au Nord ». Ne craignons pas les anagrammes : pour nombre de ces voyageurs, latitude et altitude sont aisément interchangeables.

L’Antarctique mis à part – mais son exploration est tardive –, les « pays froids » représentent pour le monde occidental un ailleurs à portée de main, somme toute très voisin et duquel il participe souvent : « lumières du Nord » venues de Russie et de Suède à partir de l’âge classique ; hivers rigoureux d’Europe centrale et orientale ou d’Amérique septentrionale ; Grand Nord, terre de conquête et, à l’occasion, source identitaire. Cet ailleurs glacé reste toutefois très longtemps méconnu : rares sont les voyageurs qui s’aventurent au nord du cercle polaire arctique avant le XVIIIe siècle – chez les écrivains, Regnard reste l’exception avec son voyage en Laponie de 1681. Quant aux Alpes, on sait le peu d’intérêt qu’elles suscitent avant le « petit âge glaciaire » (Emmanuel Le Roy Ladurie) et leur entrée en littérature, de Haller (1729) à Rousseau (1761). Pourtant, ces contrées « qui touche[nt] aux confins de la terre vivante » (Mme de Staël,) leurs paysages dignes d’un éternel hiver, leurs habitants aux mœurs étranges, leurs mythes, n’ont cessé d’exercer sur les Européens une fascination sans égale, de la Thulé des Anciens aux terres australes entrevues par Arthur Gordon Pym, en passant par la « fureur des Normands », les bains russes ou les dragons alpins.

Depuis les recherches menées par B. Stafford, entre autres, l’intérêt des récits de voyage illustrés n’est plus à démontrer pour qui s’intéresse aux relations entre le texte et l’image. En effet, l’apparition de l’imprimerie favorise dans l’Europe moderne le développement et la diffusion, rapidement phénoménaux, des représentations des pays lointains, en particulier sous la forme de cartes, de cosmographies et de récits de voyages accompagnés d’illustrations. Dans ces ouvrages qui resteront, jusqu’au XIXe siècle, d’incomparables instruments de savoir, les images entretiennent avec les textes des rapports qui s’échelonnent, selon les âges, de la complémentarité à la rivalité franche, de la connivence à l’indifférence. Elles sont aussi de nos jours une source inappréciable pour comprendre la manière dont les Européens, avant l’invention de la photographie, (se) représentent ce qui est différent – fût-il simplement situé aux marges de leur continent – et pour explorer les systèmes sur lesquels se fondent ces représentations. Au-delà de celles-ci, les images permettent enfin d’interroger ce qui se passe dans l’acte de restitution : peut-on – et si oui comment – rendre compte d’un climat ou d’une condition climatique ?

Les récits de voyages illustrés aux pays froids offrent du coup un champ d’investigation particulièrement riche, que l’on se propose d’explorer de manière méthodique, au sein d’un cadre précis.

D’un point de vue chronologique, on limitera le corpus aux ouvrages imprimés antérieurs à la photographie, dont l’apparition suscite de nouveaux enjeux et de nouvelles problématiques.

Le domaine géographique sera en revanche d’une délimitation infiniment plus complexe : où se trouvent les pays froids ? Au Nord à coup sûr, si l’on envisage les régions situées à proximité du cercle polaire arctique, mais il ne faut pas oublier d’autres contrées, plus éloignées du pôle : la Prusse par exemple, où « commence réellement la nature du Nord » (Ampère) ; l’Écosse de Nodier ou Stevenson ; la Russie et la Sibérie, situées tantôt au Nord, tantôt en Orient, selon les époques et les voyageurs ; le Canada, dont les interminables hivers déconcertaient en son temps Jacques Cartier… Et que dire des montagnes, en particulier de ces Alpes où Bourrit voit, entre France et Italie, se réunir « les horreurs des deux pôles » ? On ne négligera pas non plus la présence du froid dans des contrées plus tempérés, mais où les hivers peuvent de temps à autre se révéler rigoureux, comme dans la nouvelle région Grand Est, dont ils sont un incontestable trait identitaire. Quant à l’Antarctique, ce « Nord du Sud », et aux terres qui y confinent, ils pourraient, en dépit de leur découverte tardive, fournir des indications intéressantes sur la fin de la période envisagée.

 

AXES THEMATIQUES

Au sein du corpus ainsi délimité, les communications s’inscriront dans l’un ou plusieurs des axes suivants :

-          Approches et méthodologies de recherche pour une typologie des ouvrages sur lesquels portera l’enquête : cosmographies, récits d’exploration, recueils de curiosités, ouvrages à vocation scientifique ou pédagogique, guides de voyage montrent des différences notables dans le dialogue qu’y établissent l’image et le texte ; on pourra aussi s’attacher aux spécificités de la cartographie, que les cartes soient ou non attachées à des ensembles plus vastes.

-          Imaginaires du froid :

  • Le paysage de « pays froid » : la neige (de la tempête à l’étendue blanche), la glace (du glacier à l’iceberg), la végétation (de la forêt au lichen) ; on s’intéressera au rapport complexe entretenu par les Occidentaux avec ces paysages (les montagnes en particulier) jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et aux substrats qui président à leur représentation (mythes et légendes, interdits religieux, préjugés esthétiques, entre autres). Outre les paysages naturels, on n’oubliera pas de s’intéresser aux paysages urbains.
  • Les « habitants » du Nord (hommes et animaux) : de la réalité au fantasme (monstres, barbares), la rencontre d’une altérité culturelle dont les traits sont ou non envisagés en relation inversée avec les habitants des terres chaudes conquises au même moment…

-          L’écrivain-voyageur et le froid :

  • Voyager dans les pays froids : le corps du voyageur aux prises avec le froid, les vêtements, les moyens de transport, les difficultés de parcours…
  • Les observations sur le froid dans les voyages à vocation scientifique : mesures et questions, mises en forme visuelles.
  • La dimension spirituelle des « pays froids » : l’illustration des récits de mission qui s’y déroulent ; religion et mystique ; prosélytisme et/ou ascèse du froid ; parcours prenant la forme d’une anabase (Sibérie) ou d’une catabase (Islande).
  • Rendre compte du froid par la plume ou le pinceau : une modalité créative ? en quoi ?

Ce colloque présentera donc une série d’intérêts variés pour ses participants. Il permettra en premier lieu de faire le point sur les recherches consacrées aux représentations imagées du Nord et des pays froids, dans leur variété géographique et historique, de définir des cohérences entre des espaces à première vue hétérogènes, et d’établir un premier recensement des sources en la matière, qui pourrait à terme déboucher sur la constitution de corpus littéraires et iconographiques consacrés à la représentation des pays froids.

Il offrira en outre l’occasion d’un dialogue entre des chercheurs de différents pays et de différentes disciplines (littérature, histoire, histoire de l’art, géographie, etc.), qui travaillent souvent sans avoir conscience de la proximité de leurs centres d’intérêt. De ce dialogue pourrait naître une collaboration fructueuse, au plan national et international, entre différentes équipes de recherche interdisciplinaires, en vue de mettre en place plusieurs développements possibles en fonction de leurs intérêts respectifs : séminaires de recherche, publications, constitution de bases de données avec transfert de technologie, entre autres.

Il pourrait par ailleurs être l’occasion de mettre en valeur les fonds patrimoniaux en la matière présents en Lorraine, sous la forme d’enquêtes, d’inventaires, et surtout d’une grande exposition bibliophilique.

Il fournira enfin la possibilité d’un partage de compétences technologiques, susceptible de déboucher sur la mise en réseau des centres de ressources en la matière et la confection d’outils de recherche sur des supports différents, facilement accessibles aux chercheurs et au grand public.

 


 

ARGUMENT

Why do we get the sense of a diffuse, mysterious and yet obvious affinity when we read the illustrated travel accounts in the Alps, the “Far North” (Arctic, northern part of America, Scandinavia), or even Siberia? In this very specific type of books, that naturally spread representations of “exotic” realia, texts and images picture a world both close and far, familiar and confusing: the world of cold countries.

The notion of “cold country” (regions located close to the poles, high mountain areas, countries where winter is long and rough) arose during a research which was led in the 1960’s by the Quebecer geographer and linguist Louis-Edmond Hamelin. Through his research, Mr. Hamelin also developed the concepts of “nordicity”, “hivernity” and “mountainness” (“montagnité”), which put the stress on the close proximity between the respective representations of three types of landscape: Arctic (and Antarctic) landscapes, high mountain landscapes, and winter landscapes. But many artists and travellers had had an insight on such a proximity long before that time. As of the Renaissance, Brueghel brought it to life through his winter paintings, and so did Windham and Bourrit in the Enlightenment era throughout their trips to the Chamonix valley. In 1861, Xavier Marmier still compares the Mer de Glace with Spitzberg or Novaya Zemlya. As he travels across Norway and Sweden during summer 1827, Jean-Jacques Ampère observes that “the higher one climbs, the more often one discovers the connection between mountain landscapes and northern landscapes”. There are sometimes revealing anagrams: to many of those travellers, altitude and latitude are two faces of the same coin.

To the Western world, and apart from the Antarctic – which, however, was only explored later – “cold countries” mean a very reachable elsewhere, maybe the nearest one, in which they can easily mingle: “Northern Enlightenments” that came from Russia and Sweden at the Classical Age; harsh winters from Central and Eastern Europe or from North America; the Far North as a world of conquest and occasionally a source of identity. Yet that frozen elsewhere remained unknown for a very long time. Very few travellers dared to venture north of the Arctic Circle before the 18th century – apart from Regnard, who made a journey to Lapland in 1681. We also know how little interest the Alps raised within the travellers’ community, before the “Little Ice Age” (Emmanuel Leroy Ladurie) emerged, allowing the Alps to make their literary debut, from Haller (1729) to Rousseau (1761). For European people however, such countries that “expand to the very edges of living earth” (Mme de Staël), with landscapes that remind us of an eternal winter and inhabitants with unfamiliar customs, kept exerting an unmatched fascination – from the Ancient Thule to the Antarctic territories glimpsed by Arthur Gordon Pym, not forgetting the “furor Normannorum”, the Russian banya or the Alpine Tatzelworm.

To anyone exploring the relationships between text and image, research led by B. Stafford clearly made the point for illustrated travel accounts. As a matter of fact, the emergence of printing in modern Europe fostered the soon phenomenal development and dissemination of the representations of remote countries, notably in the form of maps, cosmography books and illustrated travel narratives. In those books, which were to remain outstanding tools of knowledge until the 19th century, images and texts have continuous relationships which vary over time, from synergy to strong rivalry, from complicity to detachment. For us today, images are also an invaluable source which allow us to understand how European people would represent and imagine anything/anyone whom they considered different. At the same time, images give us the opportunity to explore the intellectual and cultural systems on which those representations were based. And finally, images make us wonder what really happens during the process of restitution: is it possible -and if so, how?- to give a picture of an atmosphere or of climatic conditions?

For all those reasons, illustrated travel accounts in cold countries provide us with a particularly rich field of investigation, which we intend to explore methodically.

From a chronological point of view, we will restrict the corpus of texts to books printed prior to the age of photography, whose apparition create new issues and specific problems.

The geographical area will however be investigated in all its complexity: where are cold countries located? North, for sure, if we take into account any region located close to the Arctic pole, but we must not lose sight of other countries, even further south from the pole: for instance, Prussia, where “the Northern nature really begins” (Ampère); Nodier’s or Stevenson’s Scotland; Russia and Siberia, which are located sometimes in the north, sometimes in the east, depending on the period and the travellers; Canada, with its endless winters that baffled Jacques Cartier so much… And what about mountains, in particular the Alps, where Bourrit witnessed the reunion of “the horrors of both poles”, between France and Italy? We will not overlook the experience of cold weather in more temperate zones either, such as the new “Région Grand Est” (France), where cold can be considered an undeniable identity trait. And finally, the Antarctic, as the “North of the South”, and its neighbouring lands could, provide interesting insights on the end of the period in question, in spite of their belated discovery

 

MAIN TOPICS

Within this framework, here are a few suggested topics of interest that the abstract proposals could follow:

-          Approaches and research methodologies to establish a typology of illustrated travel books: cosmography books, exploration narratives, collection of curiosities, scientific literature or teaching materials, travel guides – each of them dealing with the text-image relationship in a diversified way. We would be equally interested in the specific features of mapmaking, whether the maps belong to a broader context or not.

-          Imaginary representation of the cold:

  • “Cold country” landscapes: snow (from storms to snow-covered areas), ice (from glaciers to the icebergs), vegetation (from forests to lichens); we will be focusing on the complex relationships sustained by Western people with those landscapes (mountain landscapes in particular) until the middle of the 18th century, with an emphasis on the basis of their representation (myths and legends, religious taboos, aesthetic standards and preconceived ideas, amongst others). Besides natural landscapes, urban landscapes are not to be overlooked.
  • “Inhabitants” of the North (man and beast): the encounter with a cultural otherness, mixing reality and fantasy (monsters, barbarians); and whether or not this otherness comes up as the exact opposite of the otherness of the inhabitants of warm countries conquered by Western explorers at the same time.

-          Travel writers dealing with the cold:

  • How to travel in cold countries: the traveller’s body struggling with cold climate, clothing, modes of transportation, difficulties along the way…
  • Observations and comments concerning the cold climate throughout scientific explorations: evaluations, measurements, questions, visual translations (graphic elements…)
  • Spiritual dimension of “cold countries”: missionary narratives; religion and mystique, religious proselytizing and/or asceticism; travel itinerary similar to an anabasis (Siberia) or a catabasis (Iceland).
  • How to write/draw/paint the cold: is there a specific form creativity?

This conference intends to cover a wide range of interests for its participants and delegates. It will allow us to review and update the progress of research on pictorial representations of the North and cold countries in their geographical and historical variety; it will also allow us to bring to light similarities between areas which at first glance seem heterogeneous, and to conduct an initial survey of sources, which could ultimately lead to the constitution of a database of texts and images about the representation of cold countries.

It will also give researchers from different countries and disciplines (literature, history, history of art, geography, etc.) the opportunity to meet over their common field of interest, and to discuss with each other. This dialogue could lead to a fruitful collaboration, both nationally and internationally, between various interdisciplinary research teams with the added benefit of numerous developments and activities: research seminars, publications, creation of databases through technology transfer, and more.

Furthermore, it could be the opportunity to highlight such existing heritage funds which can be found in Lorraine, through surveys, inventories and, above all, a big bibliophilic exhibition.

It will ultimately provide us with the opportunity to pool technological skills, which could promote the networking of resource centres and the development of research tools based on various data supports that would be easily accessible to every researcher and to the general public as well.

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